Les souvenirs. C’est le ciment d’une personne, ce qui fait qu’elle est comme cela aujourd’hui, qu’elle agit ainsi… Imaginez que ces fameux souvenirs, on vous les arrache un par un, jour par jour. Confisqués. Effacés. Troubles de la mémoire. Amnésie… Ces mots, vous les entendez tous les jours… Mais imaginez une seule seconde ce que cela vous arrive. Resterez-vous le même ? Non. Je peux vous l’affirmer, vous le crier dans les tympans, vous le graver dans le crâne… avant que ne l’oublie même que j’oublie les choses.

Mon histoire ? Enfin, ce que je m’en souviens… Il n’y a rien d’intéressant à dire. J’étais un mec banal. Le gars populaire de votre école qui attire les mouches. Celui qui vous sourit sans vraiment vous regarder. Celui que tout le monde apprécie mais que personne n’aime. Oui, je crois que j’étais ce type-là, à moins que ce soit ma mémoire qui ait arrangé les choses pour que la pilule soit plus facile à avaler. C’est possible, d’après ce que mon médecin m’a dit. Mais bon, d’après les témoignages que j’ai eu, c’est plutôt concordants… à moi que ceux-ci, je les ai fabriqués… Non, j’déconne, ma mémoire déraille pas à ce point-là. Ou en tout cas pas encore. Pourtant, je peux vous dire que je me retrouve parfois devant un chien et je ne peux m’empêcher d’avoir peur… Mais pourquoi ? Je ne me souviens pas. Je me demande si j’ai eu un accident avec une de ses bestioles un jour… J’sais pas. Mais je dis rien, je ne demande pas à mes parents. Je vois bien leur mine effrayée, déconfite, lorsqu’ils remarquent que j’ai encore oublié quelque chose. Je déçois. Je ne suis plus leur fils. Je suis une coquille vide qui ne fait que squatter la place de leur fils…

Aujourd’hui, cela fait plus de trois ans que j’ai quitté la Suède, le pays natal de ma mère pour changer d’air. Ça faisait trop mal de se souvenir qu’à moitié les choses… Vous savez l’impression que vous avez de connaître quelqu’un, un endroit, sans pour autant pouvoir s’en souvenir correctement ? Cette impression de flou ? Cela me bouffe. Continuellement. Je me disais qu’en remontant les compteurs à zéro, je n’aurais plus ce genre d’impression. Je me trompais, en partie, tout du moins… Mais j’ai eu l’occasion de découvrir le pays de mon père et je ne regrette pas.

Mais je sais bien ce qui vous intéresse. Vous êtes curieux. Comment peut-on oublier sa vie ainsi ? Si vous passer la main sur ma nuque ou même juste si vous regarder plus qu’une seconde, vous pourriez voir le départ de trois cicatrices… Aujourd’hui, elles sont fines, jolies, refermées en apparence… Commotion cérébrale. Apparemment, j’ai voulu faire l’intéressant devant mes « amis ». Oui, ceux qui sont venus qu’une seule fois à l’hôpital, juste pour voir si j’étais vivant… histoire de voir s’ils devaient investir dans un costume pour mon enterrement, certainement… Je suis monté au sommet d’un arbre pour faire le malin. J’ai toujours été agile, à défaut d’être grand et costaud. Sauf que dans ses moments-là, on ne s’attend pas à ce que son téléphone portable sonne. Oui, c’est idiot, banal, stupide, cruel… Mais la vie n’est pas toujours poétique ou logique. J’y connais quelque chose.