Je me suis toujours ressenti comme un être faible et à part. Pas dans le sens exceptionnel, mais différent, dans la manière de penser et d'agir. La plupart des gens agissent comme des clones, davantage préoccupés par le regard des autres que par l'expression de la propre personnalité. J'ignore si je dispose d'ailleurs d'une véritable personnalité. Je ressens la plupart du temps de l'indifférence dans mes propres actes. Et sinon, de la colère, de la tristesse... Des sentiments négatifs, ou plutôt des pics d'humeur, des choses subites, incontrôlables.
Je suis résigné. Malade depuis ma naissance, la souffrance est ma seule compagnie. Je l'accepte, je la chéris, j'ai peur sans elle. N'ayant jamais vécu sans, que ferais-je si elle disparaît ? Il n'y a rien de masochiste là-dedans, seulement une peur de l'inconnu, je dirais. Je n'aime pas trop les choses que je ne connais pas, dans le sens où je ne peux pas prévoir leur réaction. Je suis méfiant vis à vis des inconnus, mais je ne suis guère plus agréable avec des personnes plus proches. Je ne suis pas doué pour les relations, ce n'est pas mon truc, je ne sais pas comment m'y prendre. Je suis plutôt du genre solitaire, avec une compagnie animale. J'aime énormément les animaux, qui m'apportent sérénité et attachement. Avec eux, pas de faux semblants. Ça m'apaise, et veiller sur eux m'occupe l'esprit.

Ma famille s'est longtemps consternée de mon désintéressement général pour la vie. Elle m'a cherché des occupations, m'a emmené voir de nombreux médecins et psychiatres... Je passais déjà la moitié de ma vie à l'hôpital, mais ils m'y emmenaient davantage. Je pense qu'ils rêvent de me voir sourire à quelqu'un, de rire devant un film... Des choses simples. Je les comprends, et je ne m'excuserais jamais assez d'être moi-même. Peut-être changerai-je un jour. Qui vivra verra.
Si vous voulez en savoir davantage sur des détails techniques, voici : je suis né un quatorze février, on a découvert à ma naissance des failles dans mon système immunitaire. Quelques mois plus tard, on m'a diagnostiqué une toute autre maladie, l'ostéogénèse imparfaite, plus connue sous le nom de maladie des os de verre. Je suis atteint du type quatre, plus ou moins grave, mais sans trop de déformation, en revanche beaucoup de fractures. J'ai tellement l'habitude de me casser quelque chose que parfois je ne me rends même pas compte, au grand dam de ma mère et ma soeur. Mon père est davantage compréhensif. Je suis d'ailleurs très proche de lui, même si on ne parle pas beaucoup. J'ai beaucoup hérité de son caractère. Peu bavard, intransigeant avec lui-même mais tout en voulant à tout prix respecter sa propre personnalité, et ne pas se laisser envahir par les autres. Détail technique : il est français, mais vit en Corée depuis tellement d'années qu'il est intégré au paysage. Mis à part ses cheveux et son bouc blond peut-être... Il est médecin urgentiste et sa vie c'est son travail. Quant à ma mère, elle est infirmière dans un service de maternité. Elle adore les enfants. Ma soeur, âgée d'un an de moins que moi, est une incroyable casse-pieds qui veut tout pour elle, m'enfin bon...

Et dans tout ça, qu'est ce qui m'arrive ? Et bien ma famille, après avoir probablement tout essayé, a fini par trouver cette école qui ne porte pas de nom, qui ne cherche pas à être remarquée et à se faire connaître. Une école qui pourrait accueillir quelqu'un comme moi, et où je pourrais peut-être avoir une place. Faire des rencontres. M'ouvrir. Des choses comme ça...
Seul le temps le dira.